Musée de l'or bleu à Moutila : un filon peu exploité

Moutila, localité située à quelques encablures de la capitale burkinabè, existe depuis deux ans, un musée de l’eau. Ils sont cependant nombreux ces Burkinabè qui ignorent son existence. Les symboles, les ustensiles, des objets relatifs à l’or bleu, constituent les principales richesses de cet endroit que nous avons pu visiter le vendredi 25 février 2021.

                                            Cette pompe date environ 20 ans

Situé à quelque 15 kilomètres de la capitale burkinabè, le village de Moutila dans la commune de Saaba , est à moins d’une heure route à moto. Dans la localité, le musée de l’eau ne semble pas connue ; même par les autochtones. Le premier interlocuteur avec qui nous prenons les premiers renseignements pour trouver notre chemin, nous surprend par son grand étonnement. « Je n’ai pas connaissance d’un quelconque musée de l’eau ici », affirme-t-il avec un regard visiblement posé sur le rond-point du grand Ouaga. « Si c’est vraiment ici, je ne connais pas », ajoute-il. Il nous conseille d’apostropher d’autres personnes, le temps de contempler les grosses machines de la société EBOMAF qui s’activent sur les travaux de construction et de bitumage de l’autoroute de contournement de Ouaga lancé en fin octobre 2018. Un deuxième riverain et toujours le statu quo. Assis sous un hangar, la tête plongée dans une calebasse de boisson locale, Fabrice Ouédraogo, dit n’avoir jamais entendu parler d’un musée de l’eau dans la commune de Loumbila. 

Comme nos deux interlocuteurs, bon nombre de personnes ignorent l’existence de cet espace culturel. Le site n’est pas connu, nous confesse, plus tard, son promoteur.

Nous parvenons finalement aux environs de 10h sur le site de musée, situé à la lisière de la ville.  A ciel ouvert, le musée s’étend sur 10 hectares dont moins d’un démi a été mis en valeur, nous dit le promoteur, Alassane Samoura, arrivé 30 minutes après.


                      les pompes scintillent malgré les intempéries

 Des objets les plus immémoriaux aux plus récents, le musée regorge tous les symboles afférents à l’or bleu. On y trouve exposées en cercle, des pompes coloniales qui, malgré les ravages du temps, scintillent toujours. Dans la touffe d’arbres qui entourent le musée, balancent, au gré du vent, des plaquettes où sont écrits de nombreux proverbes. S’offrent également aux visiteurs des calebasses, des gobelets et des forages.

Le concept du musée de l’eau, explique son promoteur, est tout ce qui est en rapport avec Dieu, notamment les ustensiles, les objets avec l’eau, qui sont en lien avec Dieu, pour aider l’homme au transport et au prélèvement de l’eau.

Il n’y a pas seulement que les objets relatifs à l’eau dans ce musée, selon Alassane Samoura, qui brandit une pancarte sur laquelle il est écrit : « Dans les larmes d’une femme, le sage ne voit que de l’eau ». Pour le sociologue, la création de ce musée résulte d’un constat. « J’ai créé ce musée parce que j’ai eu l’impression que les gens n’ont pas une vision holistique de l’eau. Cela veut dire qu’on ne voit que l’aspect matériel de cette substance indispensable à la vie. Et pourtant, il y a aussi l’aspect immatériel qui constitue un patrimoine » a-t-il expliqué, en précisant que la création de son musée répond à une nécessité de mise en valeur de l’eau dans toute ses dimensions.

                Le création de ce musée répond à un souci de valorisation de l'eau, confie son promoteur                         Alassane Samoura

Le bâton du sourcier, une technique qui permet de déterminer la présence d’eau.

C’est une prouesse, un art, une science inédite que produit le bâton du sourcier.  Ce bâton en forme de V, flexible, a la capacité d’indiquer la nappe phréatique (l’eau du sous-sol) à travers une technique simple. Débout et serein comme un soldat en faction, le bâton tenu des deux bouts, à pas de tortue, Alassane Samoura fait la démonstration de cette science inouïe sous nos regards admirateurs et plein de questionnements. Ainsi, sans incantations ou invocations, ce bâton, arrive visiblement à indiquer la zone d’eau souterraine à travers une forte attraction vers le bas. « Que c’est magnifique ! », s’étonne Jean-Jacques Lumbroso, un français venu en visite sur le site. « Il y a des gens au Burkina qui ont réussi à faire construire des puits, réaliser des forages à l’aide du bâton de sourcier » rassure Alassane Samoura dans sa tenue traditionnelle que le léger vent de la mi-journée menaçait d’emporter. « Malheureusement au Burkina, cette technique traditionnelle n’a pas bonne presse », regrette le géniteur du musée qui plaide pour sa prise en compte au même titre que l’hydrogéologie.

                                        La pirogue baptisée Lampedusa est le symbole du refus à l'immigration

Le Lampedusa, autre symbolique fort de l’eau

C’est une pirogue noire d’environ dix mètres, baptisée le Lampedusa, du nom de cette île italienne où échouent chaque année de nombreux migrants. Ce concept, selon le patron des lieux, traduit la négation de l’immigration des Africains. Pendant longtemps, déplore-t-il, de nombreux jeunes Africains ont caressé le rêve de partir en Europe en passant par les côtes maritimes. Cette pirogue, ajoute-il, est une interpellation à la jeunesse africaine afin de stopper cet exode vers l’extérieur. A travers ce symbole, indique le promoteur, nous faisons un double appel à la jeunesse et aux autorités. La jeunesse doit sortir des sentiers battus en pensant que l’eldorado se trouve ailleurs. Mais il faut une volonté politique pour aider cette jeunesse, rappelle-t-il. « Si les gens vont en Europe, c’est parce que nous avons un problème de gestion et de gouvernance » relève le sociologue.

 « La visite est nulle dans ce musée » Alassane Samoura 

La principale difficulté du musée de l’eau selon son promoteur est le manque criard de visiteurs. « Je peux vous dire que je ne reçois pratiquement pas de visiteurs » regrette-t-il. La visite est nulle se désole-t-il. Et la crise sécuritaire et sanitaire a davantage contribué à freiner la fréquentation du musée.  Nous enregistrons rarement des visiteurs, renchérit le guide du musée, Wenceslas Yougbaré qui espère que la donne va changer dans un avenir proche. Norbert Ki, l’un des sept employés du musée, embouche la même trompette. « Cela fait déjà deux ans que je suis arrivé dans ce musée, je vous avoue que le lieu ne suscite pas d’engouement », nous relate le jeune homme, filiforme, aux cheveux crépus, par ailleurs gardien du musée. Le manque de financement qui est l’un des talons d’Achille de cette aire culturelle, n’empêche pas le promoteur de se fixer de nouvelles ambitions. En termes de perspectives, le musée compte selon son concepteur, accentuer la communication afin d’augmenter la visibilité du site.  Renforcer les capacités du personnel, construire des restaurants et un espace femme et enfant, sont, entre autres, les nouveaux défis qui attendent le promoteur du site. Mais tout doit commencer par le nerf de la guerre, mentionne-t-il, en précisant que des levés de fonds seront effectués.

En attendant, les regards sont tournés vers la journée mondiale de l’eau qui sera célébrée le 22 mars prochain. Plusieurs activités sont prévues dans le cadre de cette commémoration, conclut Alassane Samoura.

Serge Ika Ki

 

 

 

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