Production aurifère au Burkina : L’or profite-t-il véritablement à la population ?

 


Au Burkina Faso, depuis 2009, l’or est devenu le premier produit d’exportation. De 10 mines en exploitation en 2010, le pays est passé à 17 mines 10 ans plus tard (au 30 juin 2020). Quant aux recettes d’exportation, elles sont passées de 974 milliards de francs CFA en 2016 à 1 420 milliards en 2019.Le pays occupe le 5e rang après le Mali, l’Afrique du Sud, le Soudan du Nord et Ghana.  Avec de telles performances, comment peut-on évaluer le  ressenti de ce boom minier au niveau de la population ? Est-ce que le Burkina bénéficie véritablement des retombées de cette matière précieuse ? Sur ces questions, c’est une omerta totale; la plupart de nos sources n’ont pas souhaité s’exprimer dans le cadre de notre reportage.

 

L’or   brille de mille feux au Burkina Faso. Depuis 2009, date de l’ouverture de la première société minière (mine d’or de taparko),  les industries  aurifères ont proliféré à l’espace de dix ans. Selon les récentes données du ministère des Mines des Carrières et de l’Energie, le pays compte en 2021, 17 mines industrielles.  Environ 800 sites d’artisanat minier  sont également actifs au pays des hommes intègres, nous informe le ministère de tutelle qui a préféré mettre à notre disposition un document en lieu et place d’un entretien que nous avons négocié en vain. Selon le document, la production aurifère du Burkina Faso a véritablement pris son envol à partir de 2015. Ces cinq dernières années par exemple, peut-on lire dans le document,   Burkina Faso a considérablement augmenté sa production d’or. De   35 tonnes (t), en 2015,  le pays est passé à 52,6 t en 2018,  à 50,3 t en 2019 et à 60 en 2020. Au regard  de toutes ces performances, commente le ministère, l’apport de l’or au développement économique et social du pays n’est plus à démontrer.

C’est une analyse biaisée avec des chiffres rébarbatifs du ministère, estime le Dr Youmanli Ouoba qui ajoute qu’on doit les prendre avec beaucoup de précaution. Pour le Pr Woba qui a soutenu sa thèse sur la question minière :« Soutenabilité économique de l’exploitation industrielle aurifère au Burkina Faso », la contribution de l’or au développement du Burkina n’est pas très apparente. «  Malgré les performances enregistrées, le ressenti de l’or est difficilement observable dans le quotidien des Burkinabè » a-t-il indiqué avant d’ajouter que le gouvernement Burkinabè n’a pas de contrôle sur les industries minières. L’Etat Burkinabè, poursuit-il, a 10% de capital dans les sociétés minières. Ce manque de contrôle selon lui, profite naturellement aux industries minières au détriment du pays.

        Dr  Youmanli Ouoba pense que l'or du Burkina profite bien aux sociétés minières qu'aux Burkinabè

Face à ces récriminations de l’apport partiel de l’or au pays, le ministère brandi un autre document intitulé ‘’ Le ministère des Mines et des Carrières : Reformes, résultats et perspective’’. Ainsi pour montrer avec exemple à l’appui que l’or est sans doute la ‘’ vache laitière’’ du Burkina et le Burkinabè en bénéficie largement.

« Plus de 20 milliards sont repartis chaque année entre les régions et les communes du Burkina. 15 342 emplois directs et 50 000 emplois indirects ont été créés au profit du peuple burkinabè. L’or contribue 10,85% en moyenne par année à la formation du PIB. Elle a permis à l’Etat d’enregistrer des recettes budgétaires de 991 milliards de franc CFA en 2020 » explique le ministère des Mines et des Carrières. Pour le ministère, ces chiffres traduisent l’expression de l’industrie extractive au développement du Burkina Faso.

Les allégations émises par le Pr Ouoba sur la faiblesse de l’Etat dans le contrôle des sociétés minières sont bottées en touche par le ministère. En 2018-2019, 281 764 322 francs cfa ont été recouvrés au profit du trésor public commente ledite document. L’Etat a démantelé, écrit le ministère de tutelle, 21 comptoirs illégaux entre 2016 et 2019. A cela s’ajoute 91 sorties de comptoirs d’or en 2017,2018 et 2019  mentionne le département du ministre Bachir Ouédraogo. Toutes ces actions ont permis de lutter efficacement contre la fraude dans le secteur.

Les emplois octroyés par les entreprises selon Dr Ouoba sont irréguliers souvent sans base légale. La durée de contrat dépend aussi de la durée des mines ajoute t-il. Que dire de fond minier pour le développement local? Ce fond qui devrait en principe contribuer à développer les zones où sont installées les sociétés minières suscite aussi des grincements de dent de la part desdites sociétés explique t-il. L'application de ce fond n'est pas une réalité à cause de la faiblesse de l'Etat qui ne contrôle que les 10% de capitaux dans les sociétés minières. 

 Le Fond minier pour le développement local (FMDL) en difficulté

L’inapplication du FMDL est une preuve flagrante que l’or du Burkina profite moins au Burkinabè selon l’Organisation démocratique de la jeunesse (ODJ).  Pour le secrétaire général de cette organisation, Ouiry Sanou, beaucoup d’entreprises minières foulent au pied  cette convention signée entre l’Etat et les sociétés dans le but d’accentuer sur le développement local. L’affaire charbon fin à plus de 300 milliards, le refus de paiement du FMDL sur la base de la promulgation du code minier de 2015 et le refus de signature  de convention collective spécifique au secteur minier au profit des travailleurs afin de mieux régler la question des heures supplémentaires, sont entre autres des réalités qui traduisent la monopolisation de l’or par les industries minières au dépend du peuple Burkinabè.  Pour le secrétaire de l’ODJ,  le Burkina Faso est une périphérie de l’économie capitaliste dont la spécialisation dans l’extraction intensive des minerais pour alimenter l’industrie secondaire occidentale et asiatique.

Quid de l'emploi des nationaux au niveau des sociétés minières dans le pays?

La donne a changé, les sociétés minières étrangères emploient maintenant plus de locaux que d'expatrié peut-on lire dans la documentation du ministère. Tout cela, grâce aux recommandations et à la révision du code électoral de 2015 précise la source. La société  Roxgold en l'occurrence, emploi environ 95% des Burkinabè selon la publication du document du ministère intitulé : Ministères des Mines et des Carrières: '' Réformes, Résultats et perspectives'' à la page n° 10. De ce fait, le ministre d'alors Oumarou Idani estime que l'or du Burkina est investi dans le plan de développement du pays. 

En revanche, Ouyri Sanou de l'ODJ, les sociétés minières au Burkina sont réfractaires à l'application des textes en vigueur dans le secteur. L'implication des nationaux dans les industries extractives n'est pas une réalité, affirme t-il. L'Etat a crée l' Office national de sécurité des sites miniers (ONASSIM) depuis 2013 dédiée spécifiquement à la sécurisation des mines au Burkina Faso mais chaque année ,déplore t-il, chaque industrie sollicite les corps de force de défense et de sécurité en faisant fi de l'ONASSIM. Et avec violation de la loi, il est incohérent de parler de l'emploi massif des Burkinabè au  niveau de ces industries, a t-il désapprouvé. 

La dépossession des terres cultivables dans un contexte de crise alimentaire ( Nord gold à plus de 300km² ) d'espaces au centre-nord du pays et celles des sites miniers artisanaux est légions  au Burkina. Dans ce situation peut-on parler de profit, s'interroge t-il avant d'inviter l'Etat à plus de fermeté dans l'application des textes. 

Même si le ministère tente de faire croire que l’industrie extractive contribue énormément au développement du pays, il est évident qu’il existe de nombreuses difficultés en contradictions avec les réalités du gouvernement. Certes, les mines ont une grande part de contribution à l’édification du pays, mais il reste aussi des défis à relever pour assainir le secteur minier.

Pour des raisons d'équité dans le traitement d'informations, nous avons tenté de rentrer en contact avec certaines société de la place, mais rien n'y fit. Elles n'ont pas souhaité s'exprimer sur la question. Pour quel motif, nous en saurions pas. Ce qui explique d'ailleurs, une certaines linéarité des informations. 

Serge Ika Ki

 


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